Mme Saadatou Mallam Barmou, conseillère aux affaires humanitaires du Premier ministre : »Environ 150.000 personnes peuvent encore être touchées cette année par les inondations »
Madame la Conseillère, comment se présente la situation humanitaire à ce jour ?
Je vous remercie de l'opportunité que vous m'offrez de parler de tout ce qu'on gère ces derniers temps. Vous l'avez constatez de vous-même, on fait face à une situation humanitaire assez préoccupante. Après l'urgence pastorale, nous sommes aujourd'hui dans la gestion des inondations. Mais avant cela, il y a déjà eu la situation liée à l'insécurité alimentaire des ménages. On peut dire que la situation humanitaire reste encore préoccupante, même si des mesures sont prises au niveau du gouvernement pour apporter des réponses appropriées aux personnes qui en sont victimes.
Avec les pluies abondantes enregistrées ces derniers temps, est-ce que vos services ont enregistré des alertes, est-ce qu'il existe à ce jour des risques réels d'inondations ?
Nous sommes au-delà des alertes aujourd'hui, nous sommes déjà dans la gestion des inondations. Hier seulement, on a fait une situation des personnes déjà touchées par ces inondations. On a enregistré quelque 15.162 personnes réparties dans 2.663 ménages affectées. En termes de dégâts, il y a 2.614 maisons effondrées, avec malheureusement huit (8) décès et quatre (4) blessés graves. C'est dire qu'on a dépassé le stade d'alerte, nous sommes, encore une fois, dans la gestion des inondations. L'Etat a déjà apporté une assistance alimentaire et non alimentaire aux victimes.
Et quelles sont à ce jour, les zones affectées ?
On peut dire que, pratiquement, toutes les régions sont touchées par ces inondations, à l'exception des régions d'Agadez et de Diffa. Pour l'instant...
Cela fait pratiquement plus de trois (3) ans d'affilié que notre pays enregistre des inondations avec des dégâts importants. Peut-on avoir une idée des coûts que cela a engendré pour les pouvoirs publics en termes d'assistance aux sinistrés ?
Malheureusement, une catastrophe ne prévient pas quand elle arrive, même si au Niger, compte tenu des planifications que nous avons faites, nous savons que cette année nous allons faire face à des inondations. Mais il est clair que d'après nos prévisions, ces inondations n'auront pas l'ampleur de celles de 2012 où plus de 500.000 personnes ont été affectées. Toutefois, un grand nombre de nos concitoyens estimés à environ 150.000 personnes peuvent être encore touchés cette année, dont 5.000 pour la région d'Agadez, 10.000 pour Diffa, 28.000 pour Dosso, 23.000 pour Maradi, 21.000 à Niamey, 9.000 pour Tahoua, 36.000 pour Tillabéri et 18.000 pour Zinder. Ces trois années consécutives de catastrophes doivent nous interpeller tous.
C'est un signal fort qui impose un changement de comportement. Le changement climatique est réel, il a ses effets. Il y a donc une responsabilité au niveau de chaque citoyen, au niveau des communautés et des communes. Quand vous regardez dans la ville de Niamey et un peu dans les autres localités, il y a des gens qui se sont installées dans des zones inondables et autres bas-fonds. Il est donc évident que lorsque les eaux arrivent, elles emportent tout. Pour revenir à votre question relativement aux coûts de ces catastrophes, il faut rappeler qu'en 2012, le rapport de la gestion des inondations fait ressortir que le coût des dégâts et pertes est estimé à 97 milliards de francs CFA. Rien que pour la prise en charge humanitaire des victimes, l'Etat et ses partenaires ont investi plus de 13 milliards. En 2013, la prise en charge des sinistrés a coûté à l'Etat plus de huit (8) milliards. C'est dire qu'on paye très fort le prix de ces catastrophes en termes de dégâts, mais aussi en termes de réponses.
Des dispositions ont été édictées par le gouvernement relativement aux zones inondables. Est-ce que ces mesures sont respectées par les populations et les municipalités ?
En effet, à la suite de ces inondations, plusieurs mesures préventives ont été prises par l'Etat. On peut citer notamment la loi du 12 juin 2013 qui interdit entre autres les habitations dans les zones inondables. Malheureusement, on attend toujours le décret d'application de cette loi, et c'est le moment pour moi de lancer un appel au ministère en charge de cette question pour que ce décret sorte le plus rapidement possible et que cette loi soit effectivement appliquée. L'un dans l'autre, avant même cette loi, il y avait d'autres dispositions légales qui interdisaient l'habitation dans les zones inondables. Malheureusement, ces dispositions ne sont pas respectées. Il y a toujours des constructions, et même des quartiers entiers, installés sur ces zones inondables. A cela, il faut ajouter l'insuffisance, sinon l'absence d'aménagement de ces zones.
Il faut que les différents acteurs se ressaisissent pour nous éviter ces situations de catastrophes répétitives qui nous obligent à demander l'aide des partenaires, alors qu'on peut prendre des mesures pour réduire l'intensité et l'ampleur de ces sinistres. Je réitère mon appel aux différents services techniques, aux municipalités, pour que chacun, en ce qui le concerne, prenne les dispositions nécessaires et appropriées en vue de prévenir ou tout au moins de réduire l'impact de ces catastrophes. Quand vous voyez ces écoles inondées, sinon occupées par les sinistrés, ou tous ces problèmes de voiries, ce sont des désagréments qu'on peut éviter aux citoyens en prenant des mesures préventives.
Les inondations interviennent généralement dans les mêmes zones. Le gouvernement a-t-il envisagé des mesures durables pour faire face au phénomène ? En quoi consistent ces mesures ?
Bien sûr que le gouvernement a envisagé différentes mesures, et a même déjà réalisé beaucoup d'actions dans ce sens. En effet, l'Etat a pris des dispositions pour construire, là où elles n'existent pas, des digues de protection dans les zones riveraines des cours d'eau. Là où elles existaient déjà, ces digues ont été renforcées pour éviter les débordements en cas de crues. C'est le cas à Niamey, et aussi dans les régions de Dosso, de Tillabéri, de Diffa et d'Agadez. A côté de ces mesures pratiques, le gouvernement a initié un programme intitulé »Programme intégré de prévention et de gestion des inondations et de renforcement de la résilience des communautés affectées ». Ce programme comporte deux volets essentiels dont un concerne la prévention, c'est-à-dire toutes les infrastructures qui doivent être réhabilitées ou réalisées.
Dans cette optique, l'Etat a prévu de construire des digues en béton, ainsi que des infrastructures d'assainissement adéquates pour le drainage des eaux. Ce programme, devenu programme de gestion des catastrophes, a eu un financement de l'Etat du Niger, grâce à un prêt de la Banque Mondiale à hauteur d'environ 50 milliards de francs CFA. Il va démarrer incessamment et permettra, dans les années à venir, de prévenir les inondations à grande échelle. Vous avez certainement noté que dans son discours à l'occasion de la fête de l'indépendance, le Président de la République a donné des instructions fermes pour que ce programme démarre rapidement. A notre niveau, nous faisons déjà des activités de sensibilisation. Il y a actuellement un sketch qui passe sur les chaînes de télévision pour interpeller les populations sur leurs responsabilités, notamment à ne pas rester dans les zones inondables. Nous espérons qu'avec le décret d'application de la loi du 12 juin 2013, des mesures coercitives seront envisagées et permettront de réduire les risques d'inondations.
L'autre mesure qu'il faut souligner, c'est le programme de relocalisation des populations sinistrées. Si en 2013, on a moins senti l'ampleur de ces inondations, c'est parce qu'on a relocalisé plus de 10.000 ménages dans des zones non inondables où le gouvernement et ses partenaires ont investi plus de deux (2) milliards de francs CFA. Ce programme va se poursuivre jusqu'à ce qu'on arrive à aider les populations sous menace à s'installer dans des zones sûres.
En marge de la gestion des inondations, vous gérez aussi une autre situation non moins préoccupante comme la question des réfugiés maliens, des rapatriés et des refoulés des crises nigériane et libyenne. Comment se présente la situation sur ce plan ?
La gestion des réfugiés, des retournés et des refoulés, est une situation humanitaire préoccupante. En effet, la situation sécuritaire des pays voisins du Niger, nous impose cela. C'est le cas de ce qui se passe au Nigeria, en Libye et au Mali. On a aujourd'hui sur le territoire nigérien plus de 50.000 réfugiés maliens. Ils étaient plus 60.000, il y a quelques mois. Le rapatriement volontaire organisé a permis à plusieurs familles de regagner leur pays, mais ce retour s'est estompé avec les soubresauts qu'on connaît ces derniers temps. De l'autre côté, avec la situation au Nigeria, nous avons à Diffa plus de 60.000 déplacés, certains parlent même de 100.000 personnes. Les évaluations sont en cours pour déterminer le nombre de réfugiés et de refoulés. A Tahoua et à Tillabéri, nous avons un peu partout des camps de réfugiés et de rapatriés. Fort heureusement, le Niger, avec l'appui de ses partenaires, a su apporter une réponse à la situation en vue de soutenir ces populations du point de vue humanitaire et sécuritaire. On peut dire que la situation reste encore sous contrôle. Et je profite de cette occasion pour lancer un appel aux partenaires du Niger en vue de continuer à appuyer le gouvernement dans le financement des actions humanitaires.
Si vous arrivez jusqu'à présent à maîtriser la situation, c'est que vous avez un appui politique suffisant ?
En effet, la particularité dans la gestion de ces catastrophes, c'est le leadership du gouvernement du Niger. Nous avons des instructions très claires de la part de notre hiérarchie pour répondre promptement aux besoins humanitaires des populations. Si je prends l'exemple de la gestion des inondations, le comité interministériel est présidé par le Premier ministre qui, on le sait, est très regardant et suit pas à pas les réponses qui sont apportées aux populations. Et les modalités d'interventions à nous définies sont très claires: c'est d'agir au plus tard dans les 24 heures qui suivent la catastrophe. Cette particularité et ce leadership du gouvernement font que les partenaires nous font confiance et nous accompagnent. Et la responsabilité du gouvernement est ressentie à tous les niveaux, conformément aux instructions données par le Président de la République, instructions selon lesquelles l'abondance des pluies ne doit plus être synonyme d'inondations. Cela se traduit non seulement à travers les mesures préventives, mais aussi à travers l'assistance apportée aux populations affectées. Toutes ces actions sont menées, avec l'appui du Système des Nations Unies, de l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), le mouvement de la Croix Rouge et certains partenaires bilatéraux, à qui je présente notre gratitude.